Le 10 novembre à Paris, Gasandji présente son nouvel album, Le Sacré, né d’un voyage chez les pygmées Aka du Congo. Interview.
Comment est né ce disque, Le Sacré ?
En fait ce projet est né de la mort. Moi j’ai perdu mon père quelques années après avoir sorti mon premier album. Lui ne voulait pas du tout que je fasse de la musique, et puis finalement quelque temps avant qu’il meure, il m’a donné sa bénédiction. Et il a ajouté « dans ta musique, tu devrais mélanger avec nos racines, nos musiques traditionnelles… ».
Je l’ai pas vraiment pris au sérieux sur le moment, et puis il y avait aussi cette peur : par où commencer ? C’est tellement énorme ! Après, sa mort a été un tel choc pour moi que j’ai arrêté la musique pendant un bon moment. Mais ce choc m’a repositionnée dans ce que j’étais : en tant que femme, en tant qu’humain et aussi en tant qu’artiste… Ça a tellement tout bouleversé dans ma vie qu’il fallait que je reprenne tout à zéro et j’avais les mots de mon père en tête : « il faut que tu repartes là où ça se passe ». Or j’avais déjà rencontré des pygmées au Congo au cours d’un festival et leur culture m’avait bouleversée, tout comme le fait qu’on n’entende pas assez ce qu’ils ont à transmettre. J’avais en moi une voix qui me disait : s’il faut commencer quelque part, c’est par là. Donc j’ai pris contact avec les personnes compétentes pour retrouver les Pygmées que j’avais rencontrés et pour m’amener chez eux, dans la forêt équatoriale du Congo (Brazza), où je suis partie avec l’ingénieur du son Pierre Blanchi… et l’aventure de ce disque commence comme ça.
Je ne savais pas ce que j’allais en sortir, mais je savais que j’avais une histoire à raconter. Pour ça, il fallait que je me lave de plein de choses, comme une personne qui meurt à soi-même et qui renaît à soi-même… J’avais rencontré les Aka en terrain neutre, en ville, mais cette fois-ci j’allais chez eux, dans leur espace.
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« Les (pygmées) Aka, ils sont pas calibrés : ils peuvent se lever à 3h du mat et toi dans ta hutte tu entends des gens qui commencent à faire de la musique autour d’un feu ! J’étais dans une autre galaxie en fait. »
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Qu’as-tu appris en forêt chez les Aka?
J’ai désappris. Jusque-là, j’avais tellement appris et je croyais que je savais, mais je ne savais rien du tout. C’est comme si on te remettait le compteur à zéro, et une fois à zéro, maintenant que tu sais, tu as la responsabilité de marcher dans le chemin qui doit être ton chemin… J’étais comme une espèce d’oignon, auquel on enlevait une à une les couches de peau accumulées dans ma vie. Désapprendre, ça voulait dire aussi ne plus s’armer des préjugés qu’on a… Je suis partie en me disant, on va faire ceci, on va faire cela, et en fait on a rien fait du tout de ce que je croyais… Du coup ça m’a vraiment appris le détachement : ne plus vouloir prévoir, contrôler, mais prendre ce qu’il y a au moment où ça arrive.
C’était une expérience de vie, on n’était pas là pour faire de la musique : on se levait, ensuite il y avait la pêche ou la chasse, ils m’expliquaient à quoi servait telle ou telle plante, etc. Et là tu es sans portable, sans rien de rien, et tu te demandes : c’est quoi ma vie ? Ça te ramène à l’essentiel. J’ai tellement pleuré dans ces moments là… C’était une façon de faire le deuil de ce que je croyais, mais qui en fait n’était que ce que je devais croire.
Vous enregistriez tout : les musiques comme les sons du quotidien ?
Les (pygmées) Aka, ils sont pas calibrés : on avait toujours le micro ouvert, il n’y avait pas un moment mort ! Eux ils n’ont pas d’heure, ils peuvent se lever à 3h du mat et toi dans ta hutte tu entends des gens qui commencent à faire de la musique autour d’un feu ! J’étais dans une autre galaxie en fait. Ils faisaient de la musique, mais c’était jamais programmé. D’une certaine façon, ils ne font pas de la musique, la musique : c’est eux.
Ça peut être à chaque instant, ou pas du tout. Parfois les femmes font à manger, et elles commencent à chanter… et moi je viens avec elle en jouant un peu de guitare, et il se passe un truc !
Je me souviens aussi un grand père qui est un peu un chamane et qui racontait une histoire : quand ils chassent ils invoquent des esprits pour que le gibier soit là et pour dire aux animaux que s’ils tuent, c’est parce qu’ils ont besoin de survivre…. Et là, le Vieux s’accompagne d’un arc-en-bouche (ndlr : corde tendue sur un arc, frappé par un bâton, et maintenue entre les lèvres de celui qui en joue pour la faire résonner tout en en modulant le son). Le son, on le retrouve à la fin du morceau To Boyi. Il a été enregistré au moment où il a raconté son histoire.
Comment ont-ils compris ta démarche ?
Les Aka ont je crois aussi cette intelligence de se dire qu’ils sont dans leur monde, mais le monde a besoin d’avoir leur savoir… Ils savent que ceux qui viennent les rencontrer vont leur donner un écho ailleurs, par exemple pour parler des problèmes qu’ils rencontrent : y’a plein de problématiques qui concernent les femmes, l’alcoolisme, et puis la déforestation qui pousse les animaux à se réfugier de plus en plus loin, et eux qui doivent les suivre pour survivre. Moi avec ce projet j’ai envie aussi de transmettre ça…
Les Pygmées sont les parias d’une société africaine qui les a enfermés dans des clichés du genre : ils sont sales, ils sentent mauvais, donc quand quelqu’un qui vient d’ailleurs est intéressé par leur culture, ils sont ouverts à ce que leur message passe en fait. Et dès lors, ça devenait aussi ma responsabilité.
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« Là-bas je me suis aperçue que le Sacré c’est l’essentiel même de ta vie. Quand tu n’en as qu’une, il faut être enivrée de vie. »
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Comment as-tu procédé au retour en France ?
Au retour, Pierre Blanchi, l’ingénieur du son, m’a demandé : « mais qu’est-ce qu’on va faire de toute cette matière, de toutes ces heures d’enregistrement ? » Je lui ai répondu : « on va laisser faire… » Et j‘ai laissé passer une année. Après, on a commencé à écouter tout ce qu’on avait, ça s’est mis en place tout seul. On s’est dit « on va les classer par éléments (eau, terre, vent, feu…) ». Chaque son avait une espèce de maison et, en fonction des thématiques que j’abordais dans les textes des chansons, on allait chercher dans les sons qui correspondaient au thème. Les choses se sont mises en place toutes seules : j’ai presque le sentiment que ce disque, il est presque pas fait de ma main, comme si je n’avais été qu’un canal.
C’était là le point de départ, parce qu’après il y a eu les séances d’enregistrement en studio avec les musiciens d’ici. Mais pourquoi avoir décidé de ne faire de ce disque qu’une seule et même plage ?
Parce que c’était ça, depuis le début c’est un peu comme un film, c’est pas détaché, je partais d’une envie de recréer le lien avec moi même, donc ça parle d’unité… On est tous liés les uns aux autres, on ne fait qu’un… Je pouvais pas détacher ce qui doit être uni.
Pourquoi Le Sacré ?
Parce qu’ il y a une définition du sacré qui peut être universelle. Moi, c’est une manière de réunir les gens, de mettre d’accord tout le monde, le Sacré… pour moi c’est la Vie. Je m’étais fait une vie mais j’avais oublié La Vie. Là-bas je me suis aperçue que le Sacré c’est l’essentiel même de ta vie. Quand tu n’en as qu’une, il faut être enivrée de vie.
Retrouvez Gasandji en concert au Pan Piper (Paris) le 10 novembre qui présentera son nouvel album, Le Sacré.